Papaji
: Tout ce que vous revendiquez vient du mental.
Cela prend naissance dans le mental. Même la
revendication "je suis libre du mental" est
mentale.
Rinpoché : Oui. Toute revendication
vient du mental. Demander quoi que ce soit est
mental. Ne rien demander est aussi mental.
Papaji : Oui. "Je suis attaché" est
mental, "je suis libre" vient aussi du mental.
Rinpoché : Certainement.
Papaji : Il n'y a pas de différence
entre "je suis attaché" et "je suis libre",
parce que l'attachement et la liberté sont
liés l'un à l'autre. La racine est la
même. Et cette racine prend naissance quelque
part, mais en un lieu qui n'est pas connu.
Examinons donc la racine. Examinons la Source, la
Source où prennent naissance le concept de
mental, le concept de liberté et le concept
d'attachement. Regardons la racine. Si nous voyons
où elle apparaît, si nous allons
à la racine, il n'y aura ni attachement, ni
liberté. C'est pourquoi je dis : "Vous
êtes déjà libre."
Déjà libre.
Rinpoché : Dans la langue
tibétaine, nous appelons ça "sans
racine et sans assise".
Papaji : N'importe quel langage est une
"assise". Ceci est au-delà du langage. Ce
dont je parle est au-delà du langage.
Rinpoché : Sans employer de mots il
est difficile d'indiquer le sens. Mais je suis
d'accord, les mots ne sont que des
étiquettes, les mots ne sont que
superficiels.
Papaji : Par conséquent, si vous
utilisez des mots, tout le monde s'y
accrochera.
Rinpoché : Exact.
Papaji : Parce que tout le monde s'accroche
aux mots, il vaut mieux ne pas en utiliser.
Rinpoché : C'est pourquoi, dans le
passé, de nombreux maîtres
n'employaient pas de mots, mais seulement des
gestes, comme désigner le ciel du doigt. Pas
de mots pour désigner la
vérité ultime.
Papaji : Oui, un mot est semblable au doigt
qui désigne la lune. Les gens s'en tiennent
au doigt et ne voient pas la lune.
Rinpoché : Oui, c'est vrai. Le doigt
n'est là que pour aider les gens à
regarder vers la lune. Mais en outre, la lune n'est
pas la lune.
Papaji : Rejetez les deux, car ce sont tous
deux des mots. lune est un mot. Doigt est aussi un
mot. Alors, d'où ces mots viennent-ils ?
N'importe quel mot. D'où viennent tous les
mots ?
Rinpoché : Le mot est produit par la
pensée.
Papaji
: Achcha. Pensée et mental, pas de
différence.
Rinpoché : La pensée est un
fonctionnement du mental.
Papaji : Bien. Alors la pensée ne
fonctionnera que quand le "je" sera présent.
Il n'y a pas de différence entre le "je", la
pensée, le mental, l'étendue, le
passé. Quand le "je" prend naissance, tout
prend naissance, le monde, le samsara,
l'attachement, la liberté. La cause
première de tout ceci est le "je". "Je suis
attaché", "je veux être libre", "je
cherche un maître pour la liberté", et
finalement, "je suis libre". Dans chaque cas, "je"
est toujours présent. "Je" est le mental
même. Comment alors enlever le
"je" ?
Rinpoché : La connaissance qui ne
voit pas de "je", qui réalise l'état
sans ego, est appelée prajna. Cette
connaissance, cette prajna, qui ne voit pas de
"je", est le remède au "je", au maintien de
la notion "je". Le "je", ou l'ego, est la racine du
samsara. Lorsqu'on s'accroche à
l'idée "je", "moi et cela" apparaissent, la
dualité apparaît. Les ennuis, les
plaisirs, le karma et la souffrance existent en
raison de ce "je". Donc la connaissance, ou prajna,
qui réalise qu'il n'y a pas de "je", est le
remède à tout. En bref, la
libération et l'illumination sont atteintes
par la connaissance qui voit le non soi. Et ce que
vous venez de dire est parfaitement vrai. Cette
connaissance est au-delà de la
pensée, au-delà du mental.
C'est la nature qui est libre du sujet et de
l'objet de méditation. Et dans cette
connaissance qui ne voit pas de "je", vous ne
pouvez pas utiliser le mot "méditer", parce
qu'il n'existe pas d'acte de méditer sur
quelque chose. Pourquoi ? Parce qu'elle est la
vérité innée, nommée
également quiddité, tathata. Elle est
présente en tous. Alors la méthode
d'éveil à l'illumination est d'amener
dans notre vécu cette nature qui est
déjà présente. Elle est en
elle-même la nature de toutes choses.
Cela ne fait pas de différence qu'un
être éveillé vienne au monde ou
non, qu'il enseigne ou non. La nature de tous les
êtres est exactement la même. Comme
vous l'avez dit : "Cette nature est au-delà
de la pensée." Alors, à quoi
ressemble-t-elle ? Comme elle est
au-delà de la pensée, on ne peut
trouver de mots pour la décrire
réellement.
Papaji : Je vais vous le dire.
[rires] Sa Sainteté parle de
connaissance. En premier lieu, la connaissance
signifie le connaissant, la connaissance et le
connu. Connaissant, connu, connaissance. À
présent, qui est le connaissant ? Le
connaissant doit être là pour
acquérir la connaissance, et quelle que soit
la connaissance, elle doit provenir du
passé.
Rinpoché : Il existe deux sortes de
connaissance : le savoir habituel qui comprend le
connaissant, le connu, l'acte de connaissance.
Papaji : Oui.
Rinpoché : Mais il existe
également la connaissance transcendante,
nommée prajna paramita qui va au-delà
de la dualité.
Papaji : Vous dites : "Il existe deux sortes
de connaissance."
Le traducteur : Exact.
Papaji : Donc [séparant deux
verres de jus de fruit devant lui] cette
connaissance-ci est d'une sorte
[désignant un des verres] et cette
connaissance-la [désignant l'autre
verre] est d'une autre sorte. À
présent, ceci est un et ceci est deux.
Partout où il y a "deux" il y a
fausseté. Le concept de "un" et le concept
de "deux" appartiennent tous deux au passé.
À présent, vous dites qu'il existe
deux sortes de connaissance. Enlevez l'une [il
enlève l'un des verres]. Enlevez l'autre
[il enlève l'autre]. Maintenant il
ne reste rien. On peut être "un" uniquement
en relation avec "deux". Donc un est
également un concept. Si les deux sont
enlevés, il n'y a rien. Les deux concepts un
et deux sont partis.
Rinpoché : C'est vrai. Tout est
ainsi. Un concept dépend toujours d'un
autre.
Papaji : Laissez-moi aller plus loin. Je
parle de la vacuité. Quand ceci' et
cela' sont tous deux partis, il y a
vacuité. En ce lieu, le "je" est
terminé. Pour qu'une connaissance se
présente, le "je" doit prendre naissance,
mais il n'existe pas de "je" dans ce vide. Ne
donnez aucun nom aux diverses sortes de
connaissances parce que ces connaissances sont
ignorance.
Rinpoché : Ce que vous dites est
vrai. Mais nous n'utilisons le terme prajna,
connaissance suprême, que lorsqu'il n'y a ni
connaissant ni connu.
Papaji : Correct. Cela se nomme prajna.
Prajna signifie au-delà, au-delà du
mental.
Le traducteur : Le mot que Rinpoché
utilise est le...
Papaji : C'est "prajna". Au-delà de
la connaissance. Mais cet "au-delà de la
connaissance" n'est pas un mot. Ne vous raccrochez
même pas à ce mot prajna. Prajna n'est
pas un mot, pas un concept.
Rinpoché : Le temps n'est aussi qu'un
concept.
Papaji : Je suis d'accord. Le temps est un
concept et le temps est mental.
Rinpoché : Alors il n'existe pas
d'aller...
Papaji : Et pas de venue. Alors ce
samsara...
Rinpoché : Quand il n'y a pas
d'aller, il ne peut certainement pas y avoir de
venue. Définitivement, pas d'aller et pas de
venue.
Papaji : Il n'y a jamais eu de venue.
Jamais.
Rinpoché : Mais vous êtes venu.
[rires] Vous êtes venu ici.
Papaji : Je vais vous dire pourquoi. Vous
m'avez amené ici. [rires] Je vais
expliquer : "Vous venez, je viens." Ceci est le
samsara.
Après l'éveil, le Bouddha resta
tranquille. Assis sous l'arbre de la Bodhi il se
tint tranquille. Après la réalisation
de la sagesse, l'illumination, il resta
silencieux.
Le traducteur : Pendant sept semaines.
Papaji : Puis Ananda lui demanda :
"Monsieur, que vivez-vous ?" Le Bouddha ne
répondit pas. Il continua simplement
à rester tranquille. Qu'est-ce que cela
signifie ?
Il vécut son illumination dans sa
vingt-neuvième année. Puis,
jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans, il
parla de l'éveil. Ses paroles venaient du
non mental, de la non pensée. Elles venaient
de prajna. Croyez-vous que ce discours venait de la
pensée ? Non, il venait du
non-mental.
Tout le monde ne peut pas parler à partir du
non mental. Les gens ordinaires utilisent leur
mental pour parler. Pour parler à partir du
non mental, on doit avoir la connaissance que l'on
est déjà éveillé. Si
l'on a le sentiment que l'éveil est quelque
chose qui a été gagné, alors
il sera perdu plus tard, car tout ce qui est
gagné sera perdu. S'il n'était pas
là auparavant, ou s'il est nouvellement
acquis, il sera un jour perdu.
Avec la connaissance que vous n'avez rien
gagné et que vous n'allez rien gagner de
plus, vous êtes conscient que rien n'a jamais
existé. Ceci est la vérité
ultime : rien n'a jamais existé.
Rinpoché : La vérité
ultime vaut-elle quelque chose ?
Papaji : Comment ?
Rinpoché : À quoi sert la
vérité ultime ? Quel est l'usage de
la vérité ultime ? Y a-t-il
quelques qualités en elle ?
Papaji : Elle est totale
vérité. Totale vérité.
Et maintenant la vérité demande
à la vérité : "À quoi
ceci sert-il ?" Il n'existe rien d'autre que la
vérité. Et elle se
révèle elle-même à une
personne sainte. La vérité
elle-même se révèle
elle-même à une personne sainte.
Rinpoché : C'est juste. Mais
reconnaîtrez-vous que la vérité
ultime possède la sagesse, la compassion et
la capacité d'aider les autres ?
Papaji : Oui, oui, oui.
Rinpoché : Alors ne sont-elles pas
les qualités de la vérité
ultime ?
Papaji : La vérité ultime
inclut la compassion, mais ce n'est pas la
compassion pour quelqu'un d'autre. La
véritable compassion ne reconnaît
personne d'autre.
Il y a des vagues dans l'océan. Chaque vague
a une certaine forme une longueur, une
largeur et une hauteur et se déplace
dans une direction particulière. Mais
sont-elles séparées de
l'océan ? Une vague pourrait se sentir
séparée et se mettre à la
recherche de l'océan, mais est-elle jamais
séparée ?
Rinpoché : Je ne comprends pas.
Comment peut-il y avoir compassion, si ce n'est
pour les autres ?
Papaji : Je vais vous parler de la
compassion. La compassion et la
vérité sont une et même chose.
Si ma main prend de la nour-riture dans l'assiette
et la porte à ma bouche, je ne dirai pas :
"Ma chère main, merci beaucoup, vous avez
porté de la nourriture à ma bouche."
[rires] Qui montre de la compassion
à qui ? Tout le samsara est un. Tout le
samsara est un.
Bouddha était compassion. Il était la
compassion même. Elle oubliait tout. Elle ne
connaissait rien d'autre qu'elle-même. Elle
oubliait tout.
Vous connaissez sûrement l'histoire du
marchand de diamants dont le fils suivit le
Bouddha. Son fils unique devint moine et suivit le
Bouddha. Quand le Bouddha traversa la ville
d'où venait cet homme, le marchant de
diamants se plaça devant lui et se mit
à l'injurier. Il continua à
l'injurier pendant six heures. Le Bouddha, qui
était la compassion même, lui sourit
pendant tout ce temps. Il souriait, c'est tout .
[rires] Quand la provision d'injures fut
épuisée, le Bouddha dit : "À
mon tour maintenant." Et il continua à lui
sourire.
Le marchant de diamants retourna à sa
boutique, jeta ses diamants dans la rue, ferma la
porte, incendia la boutique et suivit le
Bouddha.
Cela se nomme compassion. La véritable
compassion brûle les racines de l'ego. Quand
on est confronté à la compassion
véritable, la souffrance cesse à
jamais.
Ce mot "compassion" a été
récemment adopté par les
missionnaires chrétiens, mais ce qu'ils font
ne relève pas de la compassion
véritable. Ils essaient d'aider "les
autres".
Rinpoché : Oui. La compassion qui
inclut le concept "autres" est victime d'illusions,
erronée. Mais il existe également une
compassion sans dualité, qui ne prend pas
naissance à partir de concepts
erronés.
Papaji : C'est cela dont je parle, de cette
compassion qui n'est pas en relation avec le
mental, avec l'ego.
Rinpoché : Avoir de la "compassion
avec des concepts" vaut mieux que d'avoir des
sentiments de colère ou de haine. Mais je
conviens que comparée à la compassion
non duelle, la compassion normale avec des concepts
n'est pas pure, pas sûre. La compassion non
conceptuelle n'est présente qu'avec la
réalisation de la vacuité.
Très bien ! Nous sommes en accord sur tout !
[rires]
Papaji : Je n'ai pas de place pour le
désaccord. Je n'ai pas de place pour le
désaccord.
Le traducteur : Rinpoché dit qu'il
est heureux de vous avoir rencontré et de
vous avoir parlé.
Papaji : Merci beaucoup. Je suis très
reconnaissant. Je suis heureux de voir le travail
que vous faites. Je suis heureux de voir que vous
répandez un message de paix. J'ai vu de
nombreux groupes bouddhistes aux Etats-Unis. On a
actuellement besoin de l'enseignement du Bouddha.
Le monde est en train de se détruire par le
chaos. Il y a des conflits partout. Nous devrions
faire comme Ashoka a fait en son temps :
répandre le message de paix. Nous avons
besoin de beaucoup de gens comme Mahendra, Mitra et
Bodhidharma, des gens qui répandront le
message de paix du Bouddha aux quatre coins de la
planète. C'est également mon
objectif. Nous pouvons tous travailler
là-dessus.
Les enfants qui viennent me voir [rires des
personnes présentes tandis qu'il les
désigne d'un geste] sont des
am-bassadeurs. Quand ils retourneront dans leur
pays, ils répandront le message de paix. Il
sont les propagateurs du dharma.
Le Bouddha fut mon premier Guru.
[À ce moment, Papaji se mit à
raconter de nombreuses histoires concernant son
enfance. Il insista tout particulièrement
sur la forte attirance qu'il ressentait envers le
Bouddha lorsqu'il était adolescent.]
Rinpoché : Vous avez fait cela alors
que vous étiez très jeune [se
référant à l'époque
où Papaji s'habilla en moine bouddhiste et
sortit mendier], ce qui révèle un
bon karma d'une vie passée. Vous avez une
forte empreinte d'une vie passée. C'est une
preuve que vous avez pratiqué la
méditation bouddhiste lors de vies
passées. [rires]
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