Annamalai
Swami : Le désir d'être
aidé fait partie de votre problème.
Ne faites pas l'erreur d'imaginer qu'il existe un
but à atteindre ou un objectif à
réaliser. Si vous pensez ainsi, vous allez
commencer à chercher des méthodes
à pratiquer et des gens pour vous aider.
Cela ne fera que perpétuer le
problème que vous essayez de solutionner.
Cultivez plutôt la ferme conscience : "Je
suis le Soi. Je suis Cela. Je suis Brahman [la
Réalité absolue et
impersonnelle]. Je suis tout." Vous n'avez pas
besoin de méthodes pour vous
débarrasser des fausses idées que
vous avez de vous-même. Tout ce que vous avez
à faire, c'est d'arrêter de croire en
leur réalité. Le meilleur moyen de le
faire, c'est de les remplacer par des idées
qui reflètent plus adéquatement les
choses telles qu'elles sont. Penser et
méditer : "Je suis le Soi", vous fera
beaucoup plus de bien que de penser : "Je suis le
"petit soi" et comment puis-je m'en
débarrasser ?"
Le Soi est toujours atteint, il est toujours
réalisé ; vous n'avez pas à le
chercher, à l'atteindre ou à le
découvrir. Vos vasanas [habitudes et
tendances mentales] et toutes les idées
erronées que vous avez de vous-même
obstruent et cachent l'expérience du Soi
réel. Si vous ne vous identifiez pas aux
idées erronés, votre nature-Soi ne se
dérobera pas à vous.
Vous dites avoir besoin d'aide. Si votre
désir d'arriver à une
compréhension juste de votre nature
réelle est assez intense, l'aide viendra
automatiquement. Si vous voulez devenir conscient
de votre nature réelle, vous serez
incommensurablement aidé par le contact avec
un jnani [un être
réalisé]. Le pouvoir et la
grâce qui irradient d'un jnani, apaisent le
mental et éliminent automatiquement les
fausses idées que vous avez sur
vous-même. Vous pouvez progresser en
participant au satsang d'un Guru
réalisé et par la pratique
spirituelle constante. Cela dit, le Guru ne peut
pas tout faire pour vous. Si vous voulez vous
défaire des habitudes ancestrales qui vous
limitent, vous devez pratiquer constamment.
La plupart des gens prennent l'apparence du serpent
dans la corde pour réelle. Agissant sur la
base de leur perception erronée, ils
imaginent toutes sortes de moyens de tuer ce
serpent. Il leur est totalement impossible de s'en
débarrasser tant qu'ils n'ont pas
abandonné l'idée qu'il y a un
serpent. Les gens qui veulent tuer ou
contrôler le mental ont le même
problème : ils imaginent qu'il existe un
mental ayant besoin d'être
contrôlé et prennent des mesures
drastiques pour le contraindre à se
soumettre. Si, au lieu de cela, ils
développaient la compréhension qu'il
n'existe rien de tel que le mental, tous leurs
problèmes seraient résolus. Vous
devez nourrir la conviction "je suis la conscience
omniprésente dans laquelle apparaissent et
disparaissent tous les corps et les esprits du
monde. Je suis cette conscience qui demeure
inchangée et inaffectée par ces
apparitions et disparitions." Stabilisez-vous dans
cette conviction. C'est tout ce que vous avez
à faire.
Bhagavan [Ramana Maharshi] narra l'histoire
d'un homme qui voulait enterrer son ombre dans un
trou profond. Il creusa le trou et se plaça
de telle façon que son ombre soit au fond du
trou. Il essaya ensuite de la recouvrir de terre.
Chaque fois qu'il jetait de la terre dans le trou,
l'ombre réapparaissait à la surface.
Bien sûr, il n'y parvint jamais. Beaucoup de
gens se comportent de la même manière
quand ils méditent. Ils considèrent
leur mental comme réel, essayent de le
combattre, de le tuer et échouent toujours.
Tous ces combats contre le mental sont des
activités mentales qui le renforcent au lieu
de l'affaiblir. Si vous voulez vous
débarrasser du mental, tout ce que vous avez
à faire, c'est de comprendre qu'il n'est
"pas moi". Cultivez la conscience "je suis la
conscience immanente". Quand cette
compréhension se sera stabilisée, le
mental inexistant aura fini de vous tourmenter.
Question : Je ne pense pas que le fait de
répéter "je ne suis pas le mental, je
suis la conscience", puisse me convaincre que je ne
suis pas le mental. Ce ne sera simplement qu'une
pensée de plus. Si je pouvais
expérimenter, fût-ce un instant,
à quoi le fait d'être dépourvu
du mental ressemble, la conviction me viendrait
automatiquement. Je pense qu'une seule seconde
d'expérience de la conscience telle qu'elle
est me convaincrait bien plus vite que plusieurs
années de répétitions
mentales.
Annamalai Swami : Chaque fois que vous vous
endormez, vous avez l'expérience
d'être sans le mental. Vous ne pouvez pas
nier que vous existez pendant que vous dormez et
vous ne pouvez pas nier que votre mental ne
fonctionne pas au cours du sommeil sans rêve.
Cette expérience quotidienne devrait vous
convaincre qu'il est possible de continuer à
exister sans mental. Bien sûr, vous n'avez
pas la pleine expérience de la conscience
pendant que vous êtes endormi, mais si vous
réfléchissez à ce qui se passe
dans cet état, vous comprendrez que votre
existence, la continuité de votre
être, n'est pas du tout dépendante de
votre mental ou de votre identification à
lui. Quand le mental réapparaît chaque
matin, vous concluez hâtivement "C'est le
vrai moi, c'est ce que je suis".
Réfléchissez quelque temps à
cette proposition et vous verrez combien elle est
absurde. Si ce que vous êtes
réellement n'existe que quand le mental est
présent, vous devrez admettre que vous
n'existiez pas pendant que vous étiez
endormi. Personne n'acceptera une conclusion aussi
absurde. En analysant les états dans
lesquels vous vous trouvez alternativement, votre
propre expérience vous fera découvrir
que vous existez aussi bien quand vous dormez que
quand vous êtes réveillé. Vous
découvrirez aussi que le mental ne devient
actif que lorsque vous êtes
réveillé ou en train de rêver.
À partir de ces simples expériences
quotidiennes, il devrait être facile de
comprendre que le mental est quelque chose qui va
et vient. Votre existence ne s'évanouit pas
chaque fois que le mental cesse de fonctionner. Je
ne vous parle pas d'une théorie
philosophique. Je vous parle de quelque chose que
vous pouvez vérifier par expérience
directe au cours de chaque période de
vingt-quatre heures de votre vie.
Prenez ces faits que vous pouvez découvrir
en les expérimentant directement et
examinez-les d'un peu plus près. Quand le
mental apparaît chaque matin, ne concluez pas
aussi hâtivement que d'habitude "C'est moi ;
ces pensées sont les miennes." En lieu et
place, regardez ces pensées aller et venir
sans vous identifier à elles. Si vous pouvez
résister à l'impulsion de revendiquer
chaque pensée comme vôtre, vous
arriverez à une conclusion renversante. Vous
découvrirez que vous êtes la
conscience dans laquelle les pensées
apparaissent et disparaissent. Vous avez le droit
d'être libre. À la façon dont
le serpent apparaît dans la corde, vous
découvrirez que le mental n'est qu'une
illusion qui apparaît par l'ignorance ou par
méprise.
Vous voulez qu'une expérience puisse vous
convaincre de la véracité de ce que
je dis. Vous pouvez vivre cette expérience
si vous renoncez à votre sempiternelle
habitude d'inventer un "je" qui revendique chaque
pensée. Soyez conscient de vous-même
en tant que seule conscience, regardez les
pensées aller et venir. Venez-en à la
conclusion, en expérimentant directement,
que vous êtes réellement la conscience
elle-même et pas son contenu
éphémère.
Les nuages vont et viennent dans le ciel, mais leur
apparition et leur disparition n'affectent pas le
ciel. Votre nature réelle est comme le ciel,
comme l'espace. Demeurez comme le ciel et laissez
les pensées-nuages aller et venir. Si vous
cultivez cette attitude d'indifférence
envers le mental, graduellement, vous cesserez de
vous identifier à lui.
Question : Au début de ma sadhana
[pratique spirituelle], tout allait pour le
mieux. Je ressentais beaucoup de paix et de bonheur
; jnana [connaissance véritable]
paraissait très proche. Mais maintenant, il
n'y a plus guère de paix, seulement des
obstacles et des empêchements.
Annamalai Swami : Chaque fois que les
obstacles surgissent sur le chemin, pensez-y comme
n'étant "pas moi". Cultivez l'attitude selon
laquelle le vrai vous est hors d'atteinte des
ennuis et des obstacles. Il n'y a pas d'obstacles
pour le Soi. Si vous arrivez à vous souvenir
que vous êtes toujours le Soi, peu importent
les obstacles.
Un des alvars [un groupe de saints
vaishnavites] constata un jour que si l'on ne
s'adonne à aucune pratique spirituelle, le
mental n'est pas vécu comme un
problème. Il dit que c'est seulement lorsque
l'on commence à faire de la
méditation que l'on prend conscience des
diverses façons qu'a le mental de nous
créer des problèmes. C'est
entièrement vrai. Mais on ne devrait pas
s'inquiéter des obstacles ni les craindre.
On devrait simplement les regarder comme
n'étant "pas moi". Ils ne peuvent vous
créer des ennuis que dans la mesure
où vous pensez que ce sont vos
problèmes.
Les vasanas qui vous entravent et se dressent
devant vous peuvent revêtir l'apparence d'une
grande montagne qui vous empêche de
progresser. Ne vous laissez pas intimider par sa
taille. Ce n'est pas une montagne de roche, c'est
une montagne de camphre. Si vous en allumez un coin
avec la flamme de l'attention discriminante, elle
sera réduite à néant.
Tenez-vous en arrière de la montagne de
problèmes, refusez de vous les approprier,
ils se dissoudront et disparaîtront sous vos
yeux.
Ne vous laissez pas induire en erreur par vos
pensées et vos vasanas. Elles rusent
toujours pour vous amener à croire que vous
êtes une personne réelle, que le monde
est réel et que tous vos problèmes
sont réels. Ne les combattez pas.
Ignorez-les simplement. N'accusez pas
réception de toutes les fausses idées
qui continuent de vous venir. Etablissez-vous dans
la conviction que vous êtes le Soi et que
rien ne peut se coller à vous ni vous
affecter. Une fois ainsi convaincu, vous verrez que
vous ignorez automatiquement les habitudes
mentales. Quand le rejet des activités
mentales deviendra continuel et automatique, vous
commencerez à avoir l'expérience du
Soi.
Quand vous voyez deux étrangers se quereller
au loin, vous ne leur accordez guère
d'attention parce que vous savez que cette dispute
ne vous concerne pas. Traitez le contenu de votre
esprit de la même manière. Au lieu de
remplir votre mental de pensés, puis
d'organiser des combats entre elles, n'accordez
aucune attention au mental dans son ensemble.
Restez tranquillement dans le sentiment "je suis",
qui est conscience. Cultivez l'attitude selon
laquelle toute pensée, toute perception "ne
sont pas moi". Quand vous aurez appris à
considérer votre mental comme un
étranger distant, vous n'accordez plus
d'attention à tous les obstacles qu'il ne
cesse d'inventer pour vous.
Les problèmes mentaux se nourrissent de
l'attention qu'on leur accorde. Plus vous vous
tourmentez à leur sujet, plus ils prennent
de lampleur. Si vous les ignorez, ils perdent
leur force et finissent par disparaître.
Question : Je me dis et je pense sans cesse
qu'il n'y a que le Soi. Mais, sans que je ne
comprenne bien pourquoi, il persiste un sentiment
de vouloir ou d'avoir besoin de quelque chose de
plus.
Annamalai Swami : Qui est-ce qui veut ? Si
vous arrivez à trouver la réponse
à cette question, il n'y aura plus personne
pour vouloir quoi que ce soit.
Question : Les enfants naissent sans ego.
Comment leur ego apparaît-il et recouvre-t-il
le Soi quand ils commencent à grandir ?
Annamalai Swami : Les jeunes enfants peuvent
sembler ne pas avoir d'ego mais leur ego et toutes
les vasanas latentes qui l'accompagnent sont
là sous forme de germe. Quand le corps de
l'enfant grandit, l'ego grandit aussi. L'ego est
produit par le pouvoir de la maya
[illusion], qui est l'une des shaktis
[pouvoirs] du Soi.
Question : Comment la maya
opère-t-elle ? Comment prend-elle naissance
? Puisque rien n'existe hormis le Soi, comment le
Soi fait-il pour dissimuler lui-même sa
propre nature ?
Annamalai Swami : Le Soi, qui est un pouvoir
infini et la source de tout pouvoir, est
indivisible. Cependant, au sein de ce Soi
indivisible, on trouve cinq shaktis ou pouvoirs,
dotés de fonctions différentes et qui
opèrent simultanément. Les cinq
shaktis sont la création, la
préservation, la destruction, l'illusion
[maya shakti] et la grâce. La
cinquième shakti, la grâce, neutralise
et annihile la quatrième shakti, la
maya.
Quand la maya est totalement inactive,
c'est-à-dire quand l'identification au corps
et au mental a été abandonnée,
il y a une conscience de la conscience, une
conscience d'être. Une fois que l'on est
établi dans cet état, il n'existent
ni corps, ni mental, ni monde. Ces derniers ne sont
que des idées qui donnent l'impression
d'exister en raison de la présence et de
lactivité de la maya.
Quand la maya est active, le seul moyen efficace de
la dissoudre est la voie montré par Bhagavan
: on doit pratiquer l'investigation du Soi et
distinguer ce qui est réel de ce qui est
irréel. C'est le pouvoir de maya qui nous
fait croire à la réalité de
choses qui n'ont aucune réalité en
dehors de notre imagination. Si vous demandez :
"Que sont ces choses imaginaires ?" La
réponse est : "Tout ce qui n'est pas le Soi
sans forme." Seul le Soi est réel ; tout le
reste n'est que pure imagination.
Il est futile de chercher à savoir pourquoi
la maya se produit et comment elle fonctionne. Si
vous êtes sur un bateau qui prend leau,
vous ne perdez pas votre temps à vous
demander si le trou a été fait par un
italien, un français ou un indien. Vous
bouchez la voie d'eau. Ne vous souciez pas de
savoir d'où vient la maya. Mettez toute
votre énergie à échapper
à ses effets. Si vous utilisez votre
pensée pour étudier l'origine de la
maya, vous êtes condamné à
l'échec parce que toutes les réponses
que vous aurez seront issues de la maya. Si vous
voulez comprendre comment la maya voit le jour et
comment elle fonctionne, vous devez vous
établir dans le Soi, le seul endroit
où vous êtes libéré de
son emprise. Ensuite, vous pouvez observer comment
elle s'empare de vous chaque fois que vous ne
réussissez pas à garder votre
attention dans le Soi.
Question : Vous dites que la maya est l'une
des shaktis. Qu'est-ce que vous entendez au juste
par shakti ?
Annamalai Swami : Shakti c'est
l'énergie ou le pouvoir. C'est un nom pour
l'aspect dynamique du Soi. Shakti et shanti
[paix] sont deux aspects de la même
conscience. Si vous voulez les distinguer un tant
soit peu, vous pouvez dire que shanti est l'aspect
non-manifesté du Soi tandis que shakti est
l'aspect manifesté. Mais en
réalité elles ne sont pas
séparées. Une flamme a deux
propriétés : lumière et
chaleur. Les deux ne peuvent pas être
séparées.
Shanti et shakti sont comme la mer et ses vagues.
Shanti, l'aspect non-manifesté, est le vaste
corps d'eau immobile. Les vagues qui apparaissent
et se meuvent à la surface sont la shakti.
Vaste, incluant tout en elle, shanti est immobile
tandis que les vagues sont en activité.
Bhagavan disait qu'après la
réalisation, le jivanmukta
[libéré vivant]
expérimente shanti au-dedans et qu'il est
établi en permanence dans cette shanti. De
cet état de réalisation, il peut voir
que toutes les activités sont causées
par la shakti. Après la réalisation,
on est conscient qu'il n'existe pas de personne
individuelle faisant quoi que ce soit. En lieu et
place, nous sommes conscients que toutes les
activités sont la shakti du Soi un. Le
jnani, qui est pleinement établi dans la
shanti, est constamment conscient que la shakti
n'est pas séparée de lui. Dans cette
conscience, tout est son Soi et toutes les actions
sont siennes. Ou encore, on peut aussi dire qu'il
ne fait jamais rien. C'est l'un des paradoxes du
Soi.
L'univers est contrôlé par l'unique
shakti, parfois appelée Parameswara shakti
[le pouvoir du Seigneur Suprême].
C'est elle qui meut et ordonne toutes choses. Les
lois naturelles, comme celles qui maintiennent les
planètes dans leurs orbites, sont toutes des
manifestations de cette shakti.
Question : Vous dites que tout est le Soi,
même la maya. Si cest le cas, pourquoi
est-ce que je ne vois pas le Soi clairement ?
Pourquoi m'est-il caché ?
Annamalai Swami : Parce que vous cherchez
dans la mauvaise direction. Vous pensez que l'on
peut voir le Soi ou que l'on peut en faire
l'expérience. Ce n'est pas le cas. Le Soi
est la présence, la conscience, où se
produisent le fait de voir et le fait
d'expérimenter.
Même si vous ne voyez pas le Soi, Il est bel
est bien là. Non sans humour, Bhagavan
remarquait que les gens ne font qu'ouvrir le
journal et y jeter un coup d'il. Ensuite, ils
déclarent : "J'ai lu
[littéralement "j'ai vu"] le
journal." Mais en fait ils n'ont pas vu le journal,
ils n'ont vu que les lettres et les images à
la surface. Il ne peut y avoir ni mots ni images
sans le papier, mais les gens oublient toujours le
papier pendant qu'ils lisent les mots.
Puis Bhagavan utilisait cette analogie pour montrer
que pendant que les gens voient les noms et les
formes qui apparaissent sur l'écran de la
conscience, ils ignorent l'écran
lui-même. Ce genre de vision partielle
mène à la conclusion que toutes les
formes sont sans rapport les unes avec les autres
et qu'elles sont séparées de la
personne qui les voit. Si les gens étaient
conscients de la conscience plutôt que des
formes qui apparaissent en elle, ils
réaliseraient l'apparence de toutes les
formes qui se manifestent au sein de la conscience
une et indivisible.
Cette conscience est le Soi que vous recherchez.
Vous pouvez être cette conscience mais vous
ne pouvez jamais la voir parce quelle n'est pas
séparée de vous.
Question : Vous parlez beaucoup des vasanas.
Pourriez-vous, s'il vous plaît, me dire ce
qu'elles sont et comment elles fonctionnent ?
Annamalai Swami : Les vasanas sont les
habitudes mentales. Ce sont les identifications
erronées, les schémas de
pensée sans cesse répétitifs.
Ce sont les vasanas qui recouvrent
l'expérience du Soi. Les vasanas
surviennent, captent votre attention, et vous
tirent vers le dehors, vers le monde plutôt
que vers le dedans, le Soi. Cela se produit si
souvent et continuellement que le mental n'a jamais
la moindre possibilité de se reposer ou de
comprendre sa vraie nature.
Les coqs aiment gratter le sol. C'est une habitude
constante chez eux. Même quand ils sont sur
un roc nu, ils essayent de gratter le sol.
Les vasanas fonctionnent d'une manière
semblable. Ce sont des habitudes et des
schémas de pensée qui reviennent sans
cesse, même quaned on ne les souhaite pas. La
plupart de nos idées et de nos
pensées sont fausses. Lorsquen tant
que vasanas, elles surviennent de façon
habituelle, elles nous lavent le cerveau et
réussissent ainsi à nous faire croire
en leur réalité. Les vasanas
fondamentales telles que "je suis le corps" ou "je
suis le mental" sont survenues dans nos esprits si
souvent que nous admettons automatiquement qu'elles
disent vrai. Même notre désir de
transcender nos vasanas est une vasana. Quand nous
pensons : "Je doit méditer" ou "Je dois
faire un effort", nous ne faisons qu'organiser un
combat entre deux vasanas. Vous ne pouvez
échapper aux habitudes mentales qu'en
demeurant dans la conscience en tant que
conscience. Soyez ce que vous êtes. Soyez tel
que vous êtes. Soyez simplement silencieux et
immobile. Ne faites pas attention à toutes
les vasanas qui apparaissent dans le mental et
fixez plutôt votre attention dans le Soi.
Question : Bhagavan disait souvent aux
dévots de "rester tranquille". Est-ce qu'il
voulait dire "rester mentalement tranquille" ?
Annamalai Swami : La fameuse instruction de
Bhagavan "summa iru" [reste tranquille] est
souvent mal comprise. Elle ne signifie pas que vous
devez rester physiquement tranquille ; elle
signifie que vous devez toujours demeurer dans le
Soi. S'il y a trop d'immobilité physique,
tamoguna [l'état de torpeur]
apparaît et prédomine. Dans cet
état, vous aurez sommeil et vous vous
sentirez lourd. Rajoguna [l'état
d'activité excessive] de son
côté, produit de nombreuses
émotions et active le mental. Dans sattva
guna [l'état de quiétude et de
clarté], la tranquillité, le
silence et l'harmonie règnent. Si une
certaine activité mentale s'avère
nécessaire pendant que l'on est en sattva
guna, elle a lieu ; le silence et la
tranquillité dominent le reste du temps.
Quand tamoguna et rajoguna prédominent, on
est aveugle au Soi. Si sattva guna
prédomine, on expérimente la paix, la
félicité, la clarté et une
absence de pensées vagabondes. C'est la
tranquillité que Bhagavan prescrivait.
Question : Dans L'enseignement de Ramana
Maharshi, Bhagavan parle de bhoga vasanas
[vasanas qui provoquent le plaisir] et de
bandha vasanas [vasanas qui produisent
l'asservissement]. Il dit que le jnani a des
bhoga vasanas mais pas de bandha vasanas. Swamiji
veut-il bien élucider la différence
?
Annamalai Swami : Rien ne peut être
cause d'asservissement pour le jnani parce que son
mental est mort. En l'absence de mental, il ne se
connaît qu'en tant que seule conscience.
Comme le mental est mort, il ne peut plus
s'identifier au corps. Cependant, même s'il
sait qu'il n'est pas le corps, ce dernier n'en
demeure pas moins en vie et il continuera à
vivre. Le jnani continuera d'en être
conscient jusqu'à ce que son propre karma
[action destiné] soit
épuisé. Tant que le jnani est
conscient du corps, il est aussi conscient des
pensées et des vasanas qui surviennent dans
ce corps. Mais aucune de ces vasanas n'a le pouvoir
de l'asservir parce qu'il ne s'identifie jamais
à elles. Elles ont tout de même le
pouvoir d'amener le corps à se comporter de
certaines façons. Son corps éprouve
du plaisir et fait l'expérience de ces
vasanas, mais sans le moindre effet sur le jnani.
C'est pourquoi on dit que le jnani a des bhoga
vasanas mais pas de bandha vasanas.
Les bhoga vasanas diffèrent d'un jnani
à l'autre. Certains jnani peuvent accumuler
des richesses, d'autres peuvent rester assis en
silence ; certains peuvent étudier les
Shastras [Écritures] tandis
que d'autres peuvent rester illettrés ;
certains peuvent se marier et élever une
famille, mais d'autres peuvent devenir moines
célibataires. Ce sont les bhoga vasanas qui
déterminent le genre de vie qu'il va mener.
Le jnani est conscient de toutes les
conséquences de ces vasanas sans jamais
s'identifier à elles. À cause de
cela, il ne retombe jamais dans le samsara
[l'illusion du monde].
Les vasanas surviennent à cause des habitude
et des pratiques des vies antérieures. C'est
pourquoi elles diffèrent d'un jnani à
l'autre. Quand les vasanas surviennent chez les
gens ordinaires qui s'identifient encore avec le
corps et le mental, elles provoquent attirances et
répulsions. On en épouse certaines de
tout cur tandis qu'on en rejette d'autres
comme indésirables. Ces attirances et ces
répulsions engendrent des désirs et
des peurs qui à leur tour produisent
davantage de karma. Tant que vous portez des
jugements sur ce qui est bon et mauvais, vous vous
identifiez avec le mental et vous vous fabriquez du
karma supplémentaire. Quand du nouveau karma
est créé de cette façon, il
vous faudra reprendre naissance pour en jouir.
Le corps du jnani exécute tous les actes qui
lui sont destinés. Mais parce que le jnani
ne porte pas de bon ou de mauvais jugements, et
parce qu'il n'éprouve ni attirance ni
répulsion, il ne se crée pas de
nouveau karma. Comme il sait qu'il n'est pas le
corps, il assiste à toutes les
activités de ce dernier en témoin,
sans y être d'une quelconque façon
impliqué.
Il n'y a pas de renaissance pour le jnani parce
qu'une fois le mental détruit, le potentiel
de création de karma supplémentaire
est absent.
Question : Donc tout ce qui nous arrive dans
la vie n'arrive qu'à cause de nos attirance
et de nos répulsions passées ?
Annamalai Swami : Oui.
Question : Comment apprendre à ne pas
réagir quand des vasanas surviennent dans
l'esprit ? Devrions-nous être attentifs
à quelque chose de particulier ?
Annamalai Swami : Le seul moyen c'est
d'apprendre à les reconnaître quand
elles surviennent. Si vous pouvez les
appréhender assez tôt et assez
fréquemment, elles ne vous causeront pas
d'ennuis. Si vous voulez prêter attention
à une zone de danger en particulier,
regardez comment opèrent les cinq sens. Le
fait de rechercher de la stimulation à
travers les cinq sens fait partie de la nature du
mental. Il s'empare des impressions des sens et les
traite de manière telle qu'elles produisent
de longues suites de pensées
incontrôlées. Apprenez à
observer comment vos sens se comportent. Apprenez
à observer comment le mental réagit
aux impressions des sens. Si vous pouvez
empêcher le mental de réagir aux
impressions des sens, vous éliminerez un
grand nombre de vasanas.
Rien n'attirait Bhagavan, rien ne provoquait en lui
le moindre sentiment de répulsion. Si nous
éprouvons attractions ou répulsions,
si nous haïssons ou aimons quelqu'un ou
quelque chose, il en résulte un
asservissement mental. Les jnanis
n'éprouvent jamais ni attraction ni
répulsion. Voilà pourquoi ils sont
libres de tout asservissement.
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