Durant toutes ces
années, son mentor Bhakta Danna l'aidait de
son mieux, mais Rama Tirtha vivait dans la
misère et ne mangeait pas à sa faim.
Il réduisait sa nourriture pour acheter de
l'huile pour sa lampe, pour travailler la nuit...
Malgré cela, il développait sa
vigueur et son endurance par des exercices
physiques opiniâtres. De caractère
très doux et très bon, il ne montrait
jamais d'humeur.
En 1897 on lui proposa de devenir professeur
d'université, à 23 ans. Il
préféra un simple poste d'assistant,
pour pouvoir consacrer davantage de temps à
sa quête spirituelle. Il touchait un salaire
décent qu'il utilisait pour aider des
étudiants pauvres et recevoir chez lui les
habitants de son village natal, qui abusaient de sa
bonté et de son hospitalité. Il
composait des poèmes depuis son plus jeune
âge, tirant son inspiration des poètes
soufis en ourdou et en persan. Il aimait parcourir
la nature, méditant sur le Yoga
Vasistha et la Bhagavad Gita, textes
sacrés de la tradition indienne. Il
connaissait aussi bien les uvres de
poètes célèbres anglais comme
Shakespeare, Milton, que ceux de Bhartrihari,
Kalidasa [sanskrit], Nizami, Saa'di, Hafez
[persan].
À cet âge de 23 ans, cela faisait
déjà des années que Rama
Tirtha donnait des conférences en public et
organisait des séances de méditation
dans des édifices publics à Lahore et
ailleurs. Nombreux ont témoigné de sa
capacité, à un âge aussi
précoce, à harmoniser les esprits
d'un groupe de méditants par le simple
énoncé d'un "OM".
Il était familier de congrégations
spirituelles hindouistes comme le Santana Dharma et
l'ordre de Shankaracharya, et rencontra Swami
Vivekananda, dont il organisa les
conférences à Lahore. À cette
époque, au plus profond de la domination
coloniale anglaise et de la crise de la culture
indienne, l'élite de la nation craignait que
l'hindouisme ne disparaisse complètement. Il
fallait que les Indiens se réveillent.
Swami Vivekananda était devenu mondialement
célèbre en un éclair lors de
sa participation au parlement mondial des
religions, à Chicago en 1893. Vivekananda
était un formidable orateur qui fascinait
ses auditoires en parlant du Vedanta. Cette
rencontre fut fondamentale. Rama Tirtha se
décida alors pour de bon à devenir
moine errant pour prêcher la
non-dualité [Advaita Vedanta] avec
sa joie inspirée, sa grâce et sa
douceur. En 1898, à 25 ans, il se sentait de
plus en plus attiré par le renoncement. Il
fréquenta les saints qui vivaient dans le
haut-Gange à Haridwar et Rishikesh. Il alla
vivre dans la forêt de Tapovan, seul, nu,
déterminé à atteindre
l'illumination ou à y mourir. Il atteint
l'éveil. Il revint ensuite à son
"Forman Christian College" pour enseigner les
mathématiques. Dans cette université
chrétienne, il mêlait des
enseignements des Upanishads dans ses cours
de mathématiques. Scandale ! Il dut partir
pour le "Government College" de Lahore...
L'année suivante, en 1899, il fit un
pèlerinage au Cachemire, dans les neiges
éternelles, vêtu d'un simple dhoti,
emportant néanmoins les Upanishads et
composant des poèmes...
De 1900 à 1904, il alterna des
périodes de vie publique et de retraite. En
1900, à 27 ans, il abandonna toutes ses
charges profanes et renonça à toute
vie de famille. Revêtu de la robe orange du
sanyasin [le renonçant], il partit
pour l'Himalaya vers les sources du Gange. Il passa
l'hiver dans la solitude glacée. Il
s'approcha du mont Sumeru par une tempête de
neige, vêtu d'un simple pagne.
Il fit publier à Lahore une revue, Alif
[première lettre de l'alphabet arabe,
symbole de l'Unique, du retour à
l'origine], où il exposait les principes
et la pratique d'un Vedanta pour un large public.
Il écrivait continuellement des articles,
même depuis ses retraites en Himalaya. En
1901, il fit 800 km en Himalaya, malgré sa
mauvaise santé, poussé par une
énergie spirituelle prodigieuse. Il pouvait
traverser à la nage le Gange
impétueux.
À lété 1902,
poussé par de bons amis, il partit sans un
sou vaillant pour le Japon puis pour les
États-Unis, où il mena deux ans
durant une existence simple et frugale, sans
argent. Il donnait de nombreuses conférences
sur la spiritualité et le Vedanta. Il
étonnait et subjuguait ses nombreux
admirateurs, les journaux faisaient l'éloge
de sa qualité d'être. Nombre de ses
conférences furent transcrites et
publiées. Il gagna une course de
cross-country de 48 km et escalada le mont Shasta
à plus de 4300 m. Il rencontra même le
président Théodore Roosevelt. De
retour en Inde en 1904, il reprit ses
conférences, menant la même vie
dépouillée, participant à sa
manière au réveil national
Indien.
Mais de nouveau l'appel de l'Himalaya fut plus fort
que son rôle d'éveilleur social.
En 1906, ayant abandonné la robe orange
qu'il jugeait trop ostentatoire, il remonta dans
l'Himalaya au lieu dit "l'Ashram de Vasistha",
à 3600 m d'altitude, paysage enchanteur de
neiges éternelles. Il vivait dans une
minuscule cahute, l'esprit en extase, recevant de
rares visites, composant ses poèmes, sous
des averses de mousson continuelles. Un jeune homme
faisait chaque jour 16 km aller-retour pour lui
faire la cuisine. Il mangeait peu, sa santé
se détériorait de plus en plus. Le
jour de la fête de Diwali [les
lumières] il se baigna dans le Gange. Il
fut emporté par un tourbillon, cria à
son ami cuisinier de ne pas s'inquiéter,
puis s'abandonna sereinement. Il avait exactement
33 ans... 8 jours plus tard on retrouva son corps
dans le Gange, intact, figé en parfaite
position du lotus.
Rama Tirtha n'était pas un Guru et ne
désirait pas prendre de disciples. D'une
grande culture scientifique, littéraire,
philosophique et spirituelle, il appréciait
aussi bien les textes dévotionnels indiens
que les poètes mystiques des soufis.
Rama Tirtha a réussi à
intégrer la non-dualité aux moindres
détails de son existence. C'était un
prédicateur ambulant en langues populaires.
Plutôt que les approches érudites et
intellectuelles, il préférait
transmettre un vedanta pratique et simple,
dépouillé de tout sens de l'ego,
menant une vie pure et bienveillante. Il se sentait
le plus heureux dans ses randonnées
solitaires dans l'Himalaya, le plus souvent en
état d'extase, composant ses
poèmes.
"Le nom de Swami Rama est de ceux que j'ai appris
à honorer quand j'habitais au Pendjab...
à maintes reprises j'ai vu des visages
s'éclairer à la seule mention de son
nom et des hommes m'ont dit tout ce qu'ils lui
doivent. Il y a une simplicité enfantine
dans ce qu'il écrit et une joie et un
bonheur débordants, fruits d'un gros travail
sur soi et de grandes souffrances, ce qui
révèle une âme parvenue
à la paix intérieure qui a
découvert un inestimable trésor
qu'elle souhaite partager avec autrui."
Révérend C.F.
Andrews, philanthrope anglais associé au
Mahatma Gandhi
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